Nous avons abordé lors d’une précédente réflexion l’organisation générale de l’industrie pharmaceutique (IP) (Organisation produit ou fonction centrée, l’éternel débat encore relancé ») et nous avons pu voir encore récemment l’évolution de grands groupes vers une organisation par fonction, organisation que l’on pensait dépassée.

Au cours de différentes rencontres, nous avons été surpris du nombre de fois où la notion de cluster était évoquée, de la diversité des définitions données à ce mot et de la diversité des unités pouvant la composer. De manière générale, un cluster intégrait les caractéristiques suivantes : regroupement de différents pays sous un comité exécutif unique dont l’objectif essentiel était la réduction des coûts. Les pays constituant un cluster pouvaient obéir à une logique culturelle (les pays nordiques), une logique de taille (un grand pays et des « satellites ») ou une combinaison des 2.

Un cluster ne doit pas seulement être source d’économie, il doit délivrer valeur et innovation

Cette approche cluster s’écarte beaucoup de la définition telle que donnée par Porter et d’autres et, surtout, de sa finalité qui ne doit pas se limiter à la réalisation d’économies mais doit garder pour ambition la création de valeur en s’appuyant sur l’innovation.

Pour engendrer de la valeur, un cluster doit normalement remplir deux conditions : une condition « géographique » et une condition « relationnelle ».
La condition géographique c’est la concentration d’unités de même vocation et qui vont interagir avec un monde extérieur cohérent composé de clients, de fournisseurs, de prestataires et d’institutions. Cette condition géographique n’est pas toujours synonyme de concentration géographique : elle est définie par la comparabilité du contenu de l’interaction entre les unités du cluster et le monde extérieur.

La condition relationnelle c’est, grâce à une définition optimale des relations entre les unités du cluster, permettre un meilleur apprentissage, une meilleure compétitivité de chacune de ces unités et donc, in fine une création de valeur plus importante.

Le cluster qui crée de la valeur est celui qui est constitué d’unités capables de tirer richesse de leur relation pour mieux interagir avec un environnement commun.

Si nous voulons transposer ces conditions au monde de l’IP, il nous faut définir un cadre géographique et les règles de fonctionnement inter-unités.

Ce qui crée de la valeur au sein des unités d’un cluster peut se résumer ainsi : développer, assurer l’accès et assurer la commercialisation d’un produit (recherche et production sont éminemment créatrices de valeur, mais ces tâches sont rarement représentées au sein de ces unités). Il nous faut donc définir un cadre géographique et des règles de fonctionnement inter-unités qui permettent à chaque unité de délivrer une valeur optimale pour chacun de ces 3 aspects.

Les institutions déterminent le cadre géographique

Ni la taille ni la culture ne définissent le cadre géographique d’un cluster : ce sont les institutions, terme pris au sens large, qui conditionnent le cadre géographique des interactions de même contenu.
Développer, permettre l’accès, commercialiser font appel à des process et des intervenants différents. Ces process et ces intervenants sont

– globaux pour l’étape développement, qui a pu bénéficier d’une harmonisation mondiale ; – au minimum régionaux pour la commercialisation : on peut penser que la réflexion médicale de prise en charge est comparable en Europe mais diffère de celle qui prévaut par exemple en Asie.

– essentiellement locaux pour l’accès avec des process d’évaluation et de valorisation clairement distincts d’un pays à l’autre.
Un cluster dans l’IP aura des difficultés à être totalement innovant tant qu’une dimension sur 3 de ce qui fait la valeur de chaque unité a vocation à rester locale. En Europe, les clusters existants sont trop rarement conditionnés par les institutions qui les environnent et ceux répondant à cette condition sont de taille ou d’importance limitées. La situation pourrait radicalement se modifier dès lors qu’une harmonisation des règles d’accès en Europe sera suffisamment avancée dans ses principes conduisant à la voie, non pas d’une région Europe, mais d’un cluster Europe.

Le choix des priorités et le choix des talents au service du cluster et non des unités qui le composent permettent une meilleure compétitivité de chacune de ces unités.

L’optimisation des relations entre les unités d’un cluster doit permettre une meilleure compétitivité de chacune. Si on associe compétitivité à choix des priorités et choix des talents, il s’agit alors de mettre à la disposition des unités du cluster les meilleurs talents pour chacune des priorités et chacune des activités délivrant de la valeur. Le choix des talents doit être indiscutable et doit se faire de manière transversale à travers le cluster. Cette politique de sélection des talents allant au-delà de l’appartenance à une unité d’un cluster est la meilleure façon d’attirer des talents et de leur offrir rapidement une expérience qui dépasse leur simple géographie. Le cluster doit permettre attraction des talents et mise à disposition de ces talents pour chaque partie le constituant.

Au final, dans un cluster idéal, chaque activité créant de la valeur est en interaction avec un interlocuteur de même nature. Il devient alors relativement simple de mettre en face de cet interlocuteur le talent sélectionné et ainsi construire l’organisation du cluster.
Pour l’activité « accès » qui conserve une dimension locale prépondérante, l’acquisition d’un talent unique reste insuffisante. Tant que cette hétérogénéité entre unités existera, une organisation par définition hybride devra être mise en place au niveau de l’unité pour l’accès et au niveau du cluster pour les autres fonctions/activités : cette contrainte ne constitue pas un obstacle à la mise en place d’une structure délivrant de la valeur additionnelle et de l’innovation.

Dépendant des priorités, l’organisation, naïve des unités qui la constitue, sera centrée ou non autour des produits : voir notre réflexion sur l’organisation générale de l’industrie pharmaceutique.

Robert Dahan et Edgard Bertrand, pour Euresis Partners

Sortie du remboursement de certains médicaments :
Pourquoi et selon quels critères ?

Une gestion du prix du médicament remboursé extrêmement rigide

Lorsque l’on compare le prix du médicament remboursé en France à celui des autres pays européens, les constats sont simples :

  • La France est un des pays comptant le plus de produits remboursés. Cependant le prix de ces médicaments est l’un des plus bas au sein de l’Union Européenne.
  • Le prix des médicaments remboursés est fixé par les Pouvoirs Publics au moment de leur commercialisation, les laboratoires n’ayant comme choix que de l’accepter ou de le refuser.
  • Une fois fixé, ce prix s’oriente ensuite inexorablement à la baisse, sous l’effet de décisions prises unilatéralement par les pouvoirs publics.
    C’est mécanique : les économies réalisées sur les médicaments existants doivent contribuer à financer l’arrivée d’innovations.
  • Pour les médicaments dont le prix est de quelques euros, le prix de vente des industriels représente moins de la moitié du prix de vente public.
    Sur ces produits, la marge de distribution est souvent supérieure à celle de l’industriel.
  • Les demandes d’augmentation de prix faites par les industriels ne sont que rarement satisfaites.

Les raisons d’un changement

Si ces constats ne sont pas nouveaux, la conjonction de plusieurs facteurs vient aujourd’hui déstabiliser le modèle économique de ces médicaments au point de mettre les laboratoires qui les commercialisent dans une impasse financière.

Il y a d’abord 2 facteurs dont l’effet se fait ressentir depuis un certain temps déjà.

Le premier de ces facteurs est l’inflation inédite subie depuis 3 ans. Au cumul, sur cette période, l’augmentation des prix de fabrication peut allègrement dépasser les 30% et conduire ce coût à se rapprocher du prix de vente fabriquant de ces médicaments.

Le second facteur souvent largement sous estimé, est lié à l’augmentation significative des coûts d’exploitation d’un établissement pharmaceutique. En l’espace d’une quinzaine d’années, les contraintes et les contrôles auxquels les laboratoires pharmaceutiques doivent faire face ont drastiquement augmentés, mettant sous tension des métiers comme le contrôle qualité ou les responsables réglementaires.

Si cette évolution vient sécuriser l’industrie de médicament, les coûts de cette sécurité sont, pour beaucoup, des charges fixes déconnectées de la taille du laboratoire.

Il y a ensuite 2 autres éléments liés aux priorités de notre politique de santé publique: Le renforcement de notre souveraineté et l’accès à l’innovation.

La renforcement de notre souveraineté nous impose aujourd’hui d’initier un processus de relocalisation de la fabrication d’un nombre important de nos médicaments. La pandémie récemment traversée a servi de cruel révélateur.

Cette contrainte, qui va s’imposer progressivement à un nombre croissant d’industriels, pourrait avoir un impact sur les coûts de fabrication encore supérieur à celui de l’inflation.

Enfin, les besoins de financement nécessaires pour maintenir l’accès à l’innovation vont croître significativement dans un proche avenir. Sous l’impact de l’arrivée d’un tsunami d’innovations thérapeutiques, les marges de manœuvres permettant la revalorisation du prix des médicaments existants vont fondre rapidement.

Les critères à considérer

Dans ce contexte sous forte tension, il apparait comme opportun de reconsidérer les possibilités de sortir du remboursement de certaines spécialités pharmaceutiques dont la plupart sont anciennes et appartiennent à des sociétés de taille modeste.

Alors que l’autorisation d’une sortie de remboursement s’obtient aujourd’hui auprès de l’HAS sur la base de critères de santé publique, il est désormais nécessaire que cela puisse se faire également en fonction de considérations économiques

sur la base des 3 principes suivants :

  • La démonstration faite d’une augmentation significative des coûts de fabrication.
  • Le non aboutissement de demandes répétées faites auprès des Autorités d’augmentation du prix de la spécialité.
  • Enfin, dans le cas de spécialités principalement commercialisées à l’export et avec des faibles volumes en France, lorsque le prix de ce médicament remboursé en France devient un obstacle à l’obtention d’un prix plus intéressant dans les autres pays.

Si les médicaments concernés, remplissant les conditions ci-dessus, disposent d’alternatives thérapeutiques remboursées, la sortie de remboursement n’entrainerait pas de nuisances en terme de santé publique.

Si les médicaments concernés ne disposent pas d’alternatives thérapeutiques, les Pouvoirs Publics, chargés de faire appliquer la loi, ne sauraient contraindre des acteurs de santé à vendre à perte, pratique illicite et interdite en France depuis la loi du 2 juillet 1963, et une sortie du remboursement nous paraîtrait totalement licite.Nous ne doutons pas qu’arriver à une telle issue puisse être évitée, le tact et la mesure ainsi que l’attachement de l’ensemble des acteurs de santé à notre Système de soins devraient prévaloir.

Edgard Bertrand, Philippe Géhin

L’évaluation des médicaments par la Commission de Transparence est l’objet de nombreux débats. Celui de la nécessaire évolution de sa doctrine dont nous avions souligné la nécessité (« Repenser l’évaluation ») a connu un début de réponse avec la publication d’un texte émanant de la CT et décrivant les conditions d’acceptation d’une comparaison indirecte : 3 pages de conditions restrictives mais il faut souligner cette ouverture et nous serons en mesure dans quelques mois d’en mesurer les effets.

Aujourd’hui s’invite de plus en plus le débat sur la nécessaire médicalisation de la commission et nous avions aussi porté ce débat il y a quelques mois (« médicalisons et simplifions l’évaluation du médicament »). Ce débat mérite d’être redéfini comme le montrent les réponses apportées : « la Commission de Transparence est essentiellement composée de médecins et il n’y a que 2 méthodologistes », ce qui est factuellement vrai, « les médecins de la commission de transparence sont de bons connaisseurs de la méthodologie », ce qui est souhaitable, en tous cas non interdit.

Il faut chercher le sens de « médicaliser la commission de transparence » non pas dans le nombre des médecins présents mais dans la possibilité de cette commission d’appréhender un apport médical au moins autant qu’une qualité de démonstration de cet apport. Si on examine aujourd’hui la composition de la commission de transparence, on s’aperçoit que les grands domaines thérapeutiques y sont représentés mais uniquement par une ou un représentant (à l’exception de l’hémato-oncologie). Les dossiers sont présentés par un chef de projet interne interne (essentiellement non spécialiste du domaine thérapeutique traité) avec éventuellement l’aide d’une ou d’un expert extérieur (pas plus pour éviter tout risque de conflits d’intérêt).

Les médecins de la commission en tant que connaisseurs de la méthodologie des essais, peuvent à priori tous évaluer grossièrement ou finement la qualité de la démonstration mais peuvent-ils réellement tous évaluer l’apport médical. L’évaluation de cet apport médical suppose une connaissance approfondie de la pathologie en cause et de son histoire naturelle, une connaissance approfondie des stratégies de prise en charge, une compréhension fine de ce qu’est un résultat observé pour en mesurer l’intérêt pour un patient. Il est illusoire d’attendre de médecins non impliqués dans la prise en charge au quotidien de certaines pathologies un jugement éclairé sur l’apport de telle ou telle thérapeutique. La spécialisation des thérapeutiques, la discussion autour de pathologies rares voire ultra rares complexifient encore pour des « non spécialistes » leur capacité à juger.

Il n’est pas étonnant dès lors de constater que beaucoup des décisions de la commission sont la conséquence du jugement d’une personne ou d’un couple de personnes. La lecture des transcriptions des débats de la Commission montre bien l’effet d’entrainement du spécialiste de la commission et le nombre très limité d’intervenants dans le débat. En d’autres termes si la qualité de la démonstration peut être évaluée par plusieurs, l’évaluation de l’apport thérapeutique potentiel ou réel est l’apanage d’un seul.

Médicaliser la commission de transparence, ce n’est pas avoir des médecins en nombre dans la commission, c’est avoir une diversité d’opinions médicales expertes et éclairées pour débattre de l’apport médical d’un produit (ce qui est beaucoup plus complexe que de débattre de la qualité méthodologique d’une démonstration)

On pressent tous que seuls des comités d’experts du domaine médical évalué peuvent émettre une opinion médicale contradictoire sur l’apport des nouveaux médicaments. Ces avis de comités d’experts sont encore plus nécessaires pour les dossiers les plus spécialisés où la connaissance médicale est peu partagée.

Si nous acceptons l’idée que l’avis émanant d’un comité d’experts vaut mieux que l’opinion d’une personne, alors nous saurons nous affranchir de la suspicion de conflits d’intérêt qui entoure ces comités et nous saurons surtout introduire la vraie dimension médicale dans l’évaluation.

Rédigé par Robert Dahan pour Euresis Partners

Une des fonctions essentielles de l’accord cadre tri-annuel entre les Entreprises du Médicament et le CEPS est de définir les principes d’établissement des prix du médicament.

Rappelons très brièvement le chemin parcouru par un nouveau médicament pour passer de son approbation à sa commercialisation. Une première étape dite médicale (oublions l’étape médico-économique tellement son rôle et son importance se sont marginalisés au cours de ces dernières années) apanage d’une commission appartenant à une autorité indépendante (dont les membres du collège sont nommés par le pouvoir politique) délivrant un avis sur le remboursement et sur la valeur médicale ajoutée du nouveau médicament. Une seconde étape dite économique, rapportant à différents ministères et composée majoritairement de représentants de ce qu’il est coutume d’appeler des payeurs, négociant avec pouvoir de décision, le prix de ce nouveau médicament.

Il est à priori tout à fait justifié que l’accord cadre soit signé entre responsables décisionnaires : d’un côté les entreprises du médicament, détenteur de l’offre et de l’autre côté le CEPS financeur de la demande. Mais son piège pour l’industrie pharmaceutique, c’est que le CEPS y fait définir (et cela de nombreuses années, mais aujourd’hui de façon encore plus précise) les principes d’établissement des prix par l’évaluation d’un tiers, non partie prenante de l’accord. Ce tiers, pour ne pas le nommer, la commission de transparence, définit par son évaluation de la valeur médicale ajoutée, les conditions d’établissement du prix. Alors que la commission de transparence n’était supposée que délivrer un avis, voilà que l’accord cadre définit précisément les principes d’établissement des prix uniquement en fonction de l’avis délivré. Il n’est qu’à lire certaines transcriptions de débats de la commission de transparence pour se rendre compte jusqu’à quel point cette commission en est consciente.

L’accord cadre dans la rédaction telle qu’elle existe aujourd’hui, a le mérite de rappeler à la commission de transparence que par ses avis elle est, de fait, un décideur même si déclaré statutairement non responsable. Mais toujours dans sa rédaction actuelle, l’accord cadre rend le décideur qu’est le CEPS innocent de ses décisions car conséquences directes et logiques de l’accord signé.

Le prix d’un médicament ne devient que la « simple » traduction d’un avis émis par une commission n’étant pas partie prenante d’un accord entre 2 parties. La question est alors pour chacune des parties de savoir le crédit à accorder aux « avis » émis par la commission. Les innombrables discussions sur la nécessité de revoir la question de l’évaluation des médicaments montrent que l’industrie pharmaceutique émet des réserves sur la doctrine dictant cette évaluation. Les entreprises du médicament doivent alors avant tout renouvellement de l’accord cadre s’assurer que cette doctrine change suffisamment (la cosmétique apportée récemment est largement insatisfaisante) avant d’accepter que l’accord cadre fasse des avis de la commission les vrais décideurs du prix du médicament.

Le 27 juin 2023, le premier observatoire de l’accès aux médicaments et de l’attractivité du LEEM souligne « qu’un tiers des médicaments ayant reçu une AMM européenne entre 2018 et 2021 ne sont pas disponibles pour les patients français à fin 2022 contre 13% en Allemagne ». Si l’accès précoce récemment mis en place par la HAS est de nature à réduire cet écart, il n’en demeure pas moins que plusieurs facteurs contribuent aux difficultés d’accès au marché français pour les innovations thérapeutiques. Nous pouvons citer :

– Les données du dossier d’enregistrement incomplètes et immatures sur les preuves d’efficacité et de tolérance,
– Les méthodologies d’évaluation fondées sur des approches probabilistes nécessitant de grandes populations pour assurer la qualité de la démonstration alors que la segmentation des pathologies grâce aux biomarqueurs aboutit à de petites sous-populations de patients,
– La difficulté d’apporter des données comparatives dans ces sous-populations et sous-indications en raison de l’absence de comparateurs,
– Un modèle économique existant basé sur le rapport prix/volume et l’amortissement des frais de développement tirant les prix à des niveaux extrêmement élevés compte tenu de la petite taille des populations indiquées.

Tous ces facteurs faisant peser une forte incertitude sur le rapport coût /bénéfice, il nous parait intéressant de focaliser notre réflexion sur la place des données observationnelles et des méthodes analytiques pour réduire l’incertitude issue du développement clinique. D’ailleurs, tous les pays ne mettent pas le curseur de l’appréciation de ces données au même niveau de prise en compte de l’incertitude. La mise à disposition de moyens importants (i.e. création du Health Data Hub) pour faire émerger l’usage secondaire des données de santé est susceptible de réduire l’écart observé entre différents pays européens et la France. Le récent rapport de la mission Borne aborde également de manière tangentielle cette problématique. Cependant de nombreux freins liés à la réutilisation des données observationnelles, demeurent dans la pratique en France et ne permettent pas encore d’optimiser l’accès au marché des innovations thérapeutiques. Cette note a pour objet d’apporter une analyse complémentaire sur les problèmes auxquels les industriels et les évaluateurs sont confrontés.

Les défis liés à la réutilisation des données observationnelles

Les données observationnelles sont de plus en plus utilisées dans la recherche clinique et l’accès au marché des médicaments. Les études les plus courantes permettent d’évaluer les effets comparatifs au moyen de cohortes ou d’essais avec un seul bras et groupe de contrôle externe. Plus récemment, l’accent a été mis sur l’analyse des expériences vécues par les patients lors du parcours de soins. Elles reposent également sur des études non randomisées après l’autorisation de mise sur le marché.

L’évaluation par la HAS des molécules innovantes repose aussi en partie aujourd’hui sur des données observationnelles.  Ces utilisations sont importantes car elles permettent de :

La nature des données en vie réelle pose des difficultés spécifiques aux évaluateurs pour décider de l’accès au marché. Les principales questions concernent la qualité et la transparence des données ainsi que la mesure de l’incertitude. Il faut tout d’abord s’assurer de la provenance des données et vérifier qu’elles sont pertinentes et de qualité suffisante pour répondre à la question de recherche posée. L’étude observationnelle doit générer des preuves de manière transparente et avec intégrité depuis sa conception, sa conduite et l’établissement de rapport de fin d’étude. Enfin, il est important d’utiliser des méthodes analytiques qui minimisent le risque de biais et caractérisent au mieux l’incertitude sur le résultat augmentant ainsi la fiabilité des preuves résultantes.

Cependant, les données observationnelles ne permettent pas d’optimiser l’accès au marché des innovations thérapeutiques car elles posent des questions méthodologiques et opérationnelles importantes pour les industriels.

Le cadre juridique européen qui régule l’usage secondaire des données en vie réelle pose des problèmes opérationnels fréquents aux industriels. Il interdit le traitement des données personnelles liées à la santé (article 9 (1) du RGPD), sauf si le consentement éclairé de chaque personne concernée est donné (RGPD Art. 9 (2a)) ou si une exemption scientifique est présente (RGPD art. 9 (2j). Cette dernière est délivrée en France par la CNIL. L’exemption scientifique est donnée si le traitement des données est d’intérêt public, la protection des données sécurisée et l’étude justifiée par un objectif scientifique suffisant. En pratique, l’obtention d’une exemption scientifique pose des défis importants notamment de durée de traitement des dossiers. Ainsi, les deux possibilités fondées sur le RGPD pour justifier l’utilisation secondaire des données en vie réelle pour la recherche sont difficiles à mettre en œuvre. Si le traitement est légalement fondé sur l’exemption scientifique, RGPD Art. 89 impose en outre la mise en œuvre de garanties de confidentialité appropriées soutenues par des mesures techniques et organisationnelles. Il précise également que seules les données nécessaires à la recherche doivent être utilisées (principe de minimisation des données).

En pratique, il est pertinent de mieux définir les conditions pour lesquelles l’utilisation des données de santé en vie réelle est recommandée. Les contraintes méthodologiques et opérationnelles liées à l’utilisation des données observationnelles, les exigences juridiques et éthiques aboutissent en France à une surprotection des données et des retards importants dans leur accès. Afin d’y remédier, plusieurs types de mesures sont à l’étude.

1           Accélérer la création des entrepôts de données de sante (EDS) respectant le paradigme de confidentialité et les critères FAIR (Finding, Accessibilitiy, Interoperability, Reusability)

Afin de favoriser simultanément le respect des exigences éthiques et le potentiel scientifique lié à l’utilisation des données observationnelles, les EDS doivent suivre le paradigme de la confidentialité dès la conception, c’est-à-dire faire respecter la protection des données (par ex. Accès autorisé après authentification et exportation de données uniquement anonymisées) et considérer les critères FAIR comme la référence en matière d’utilisabilité scientifique des données.

La création en 2022 en France d’un réseau d’EDS hospitalier au travers d’un appel à projets respectant ces critères et couvrant une partie du territoire est une première étape dans la bonne direction. Son impact est cependant limité compte tenu du niveau d’investissement (50M) et des délais d’autorisation et pour la mise en route opérationnelle des différents projets. Cette première étape doit être considérée comme une phase pilote permettant une deuxième étape plus ambitieuse dans la stratégie de la santé numérique englobant l’activité de soin hospitalière et de ville. En effet, si on compare la stratégie de la France avec celle des pays comme l’Allemagne ou les pays nordiques dans ce domaine, nous ne pouvons que constater des retards importants dans leur mise en œuvre. Ainsi l’Allemagne met en place actuellement un référentiel d’interopérabilité des données provenant des systèmes de clinique primaire basé sur le standard HL7 FHIR (ref1).

2           Simplifier et harmoniser les procédures d’accès et d’utilisation des données observationnelles au niveau européen

La plupart des patients sont disposés à partager leurs données et perçoivent même le partage de leurs données médicales comme un moyen important pour faire progresser les programmes de recherche. Par conséquent, la mise en place d’un consentement tel que celui développé par le MI-I en Allemagne dans la pratique clinique (ref1), combiné à un système entièrement numérique et une gestion dynamique du consentement, auront un impact positif significatif sur la faisabilité des projets cliniques. L’harmonisation au niveau européen des activités de régulation sont guidés par Le « Data Governance Act » et le « Data Act ». Cette stratégie vise à développer un marché unique des données en soutenant un accès, un partage et une réutilisation responsables, tout en respectant la protection des données personnelles. La mise en place de cette harmonisation comblera les différences importantes entre les pays européens dans l’application du règlement du RGPD.

3           Mieux définir les bonnes pratiques permettant d’utiliser des données de santé en vie réelle à des fins d’accès

L’accent de la HAS devrait être mis sur les méthodes d’évaluation des études en vie réelle. Des approches innovantes permettant de mieux définir et évaluer des données pertinentes sur l’exposition au traitement et les co-variables sont nécessaires pour répondre aux questions d’accès au marché.

En conclusion, la réutilisation des données de vie réelle permettant d’accélérer la recherche clinique et d’optimiser l’accès au marché des innovations médicales n’est pas irréalisable. Cependant, la situation actuelle pose des défis tant sur le plan opérationnel que règlementaire. Il existe de nombreux exemples dans l’évaluation du bénéfice risque montrant que l’analyse combinée de données observationnelles avec celles des essais cliniques randomisés permettent d’étudier des hypothèses supplémentaires et de réduire l’incertitude des résultats. Ces analyses ont permis l’approbation par l’EMA de plusieurs dossiers d’enregistrement. La mise en œuvre d’analyses similaires facilitant la mesure comparative de la valeur ajoutée et la réduction de l’incertitude issue du dossier d’accès au marché en France ne sera possible que si un accès simplifié et harmonisé au niveau européen des données observationnelles est mis en place. Sans cela, il est difficile à ce stade d’envisager une amélioration significative et rapide de l’accès aux innovations en France et une réduction des disparités grandissantes observées avec d’autres pays européens.

Bernard Hamelin, Véronique Ameye

Les médicaments matures, ou anciens médicaments, sont des médicaments indispensables qui représentent la majorité des 8 000 médicaments disponibles dans les pharmacies françaises

En quoi les médicaments matures sont-ils utiles et indispensables ?

Dans son rapport sur la vulnérabilité d’approvisionnement en produits de santé de décembre 2021, l’lGAS a recensé, à titre d’exemple, les médicaments critiques de 2 aires thérapeutiques : la cardiologie et l’anesthésie réanimation.

Résultat : Chacun des 53 produits listés (23 en cardiologie et 30 en anesthésie réanimation) rentre dans la catégorie des produits matures.

Pour rappel, la définition appliquée au terme de « médicament critique » est la suivante : médicaments présentant non seulement un intérêt thérapeutique majeur mais aussi un caractère irremplaçable, parfois majoritairement présents dans plusieurs classes thérapeutiques (infectiologie, cardio-vasculaire, anesthésie, endocrinologie…)

Il y a, bien sûr, de nombreux médicaments nouveaux qui répondent à cette définition, qui plus est quand il s’agit d’innovations de rupture, mais leur nombre reste encore limité face à la longue histoire des produits matures.

Il en va donc ainsi : sauf à compromettre dangereusement la qualité de nos soins, ce que personne n’accepterait, les produits pharmaceutiques matures restent indispensables à notre santé.

Derrière la nécessité de continuer à disposer de ces produits, une autre dimension est désormais au cœur des préoccupations des acteurs de Santé Publique : le contrôle géographique de leur production.

Alors que la crise sanitaire nous a mis brutalement face aux conséquences de cette recherche incessante d’économies sur les couts des produits matures, la densité du tissu industriel pharmaceutique national est devenue, selon les termes du Haut-Commissariat au plan, un enjeu fondamental, essentiel et vital pour la sécurité de notre pays et de sa population. 

En outre les médicaments matures sont en France à large volume dans la pharmacopée et à très faibles prix.

Selon une récente étude de Simon Kucher, 33% des médicaments d’intérêt sanitaire et stratégique sont désormais à un prix journalier inférieur à 25 centimes d’euros. 

Dans les classes thérapeutiques où les produits matures sont majoritaires, les prix sont encore plus infimes : 16 centimes en infectiologie, 10 centimes en endocrinologie, et moins de 3 centimes pour une pilule à base de désogestrel.

Non seulement les prix des produits matures n’ont pas augmenté mais ils ont baissé au fil des ans, de 40% entre 1990 et 2021, avec l’arrivée des génériques et des baisses de prix imposées par l’État pour financer l’arrivée des nouveaux médicaments. Cette spirale déflationniste des prix de cette catégorie de médicaments a atteint ses limites.

Les médicaments matures menacés de disparition en France

Deux raisons aux conséquences graves expliquent cette situation :

Des producteurs sans soutien.

Les médicaments anciens sont délaissés par l’État, et considérés comme non prioritaires pour les Grands Groupes Pharmaceutiques.

Le tissu industriel pharmaceutique français est constitué de près de 250 entreprises produisant dans 270 usines, pour la plupart fabricant des médicaments traditionnels pour lesquels les principes actifs proviennent an majorité d’Asie.

Les produits matures, par définition anciens, sont sortis il y a 30 à 50 ans voire plus, fabriqués pour la plupart par des petites entreprises (80% des entreprises du médicament ne représentent que 12% du CA du secteur). Leurs prix de vente fabricant, régulés, n’ont jamais été réévalués par les Pouvoirs Publics depuis leurs sorties au XXème siècle alors que le coût de la vie a augmenté de 55% entre 1990 et 2021.

Les « grands » Groupes qui disposent de produits matures dans leur portefeuille produits de médicaments matures, tous génériqués ou généricables, les ont délaissés ou rétrocédés ou ont délocalisé leur production dans des pays moins coûteux, focalisant leurs moyens sur la Recherche et les nouveaux produits innovants.

Des producteurs asphyxiés en France par des prix de remboursement administrés en baisse, et subissant une hausse des coûts de production due à l’inflation mondiale post-Covid sur les matières premières ainsi qu’au surenchérissement des coûts de l’énergie et du transport.

La conséquence de cet effet ciseau, baisse des prix de ventes et augmentation des prix de revient, entraine un étranglement des petites entreprises dépendantes de la production de ces médicaments à fort volume mais désormais sans revenu.

La tentation pour les laboratoires est alors grande de dérembourser des pans entiers de produits matures ou de produire en priorité pour les pays européens qui auraient pris des mesures pragmatiques de bon sens pour assurer la pérennité de ces traitements utiles pour le plus grand nombre. La France ferait alors face à des problèmes d’approvisionnement entrainant des ruptures de stock pour les patients.

Pour un plan de sauvegarde des médicaments matures en France et conditions nécessaires.

Après les déserts médicaux, le risque d’une désertification de la pharmacopée remboursable pour les soins courants, est un risque réel en France.

Si les Pouvoirs Publics ont vaillamment pris des mesures pour encourager la recherche biomédicale et les innovations thérapeutiques, il serait opportun et urgent que l’État déploie un plan de sauvegarde collectif pour cette partie de notre pharmacopée.

Rappelons que la pharmacopée en France est constituée de 2800 substances actives qui donnent lieu à 8000 médicaments disponibles en pharmacie et que le nombre de nouvelles substances enregistrées chaque année en Europe varie entre 50 et 60, n’oublions pas les autres médicaments…

Un plan de sauvegarde des médicaments matures en France doit être déployer et intégrer des mesures telles que :

  • Identifier les produits ou classes de produits à risque dont la présence s’avérera toujours indispensable dans le futur, avec une anticipation sur 5 ans.
  • Actualiser les niveaux de prix de remboursement par des mesures de réévaluation des prix de remboursement, collective par classe thérapeutique, et non individuelle par laboratoire, comme cela se pratique dans les pays voisins. Il s’agit de sauver des produits et non des laboratoires.
  • Modifier les règles rigides de déremboursement, actuellement bureaucratiques et irréalisables.
  • Intégrer une politique fiscale de décarbonisation du secteur pharmaceutique par une taxation des importations hors Europe ou un encouragement à une production européenne.
  • Réallouer les remises produits, payées par les l’industrie pharmaceutique sur les produits innovants, à des hausses de prix de produits indispensables à faibles prix.

De même que l’État avait institué une clause de sauvegarde pour sécuriser le financement des médicaments, il y a urgence, en termes de Santé Publique, à instituer un plan de sauvegarde pour sécuriser l’approvisionnement des médicaments matures et ce pour un impact économique minime.

La pharmacopée est constituée de 8 000 médicaments, face à 15 000 maladies, n’éradiquons pas les médicaments les plus consommés.

D’autres pays européens ont déjà pris des mesures, la France ne peut rester à l’écart. 

Philippe Géhin, Edgard Bertrand, Robert Dahan
Associés Fondateurs Euresis Partners

EuresisPartners, coordonné par Robert Dahan et Philippe Gehin

Le système français de fixation du prix des médicaments repose sur un processus et des règles simples : un avis scientifique donné par une commission (CT) réputée indépendante éclairant la fixation d’un prix pour un comité économique (CEPS) selon les règles d’un accord cadre négociées tous les 3 ans avec les représentants de l’industrie pharmaceutique (IP).

Depuis 2022 la CT a une nouvelle mission : donner son avis au collège de la HAS sur la possibilité, pour une nouvelle molécule ou une nouvelle indication, d’un Accès Précoce (AP) avant ou après Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) et avant finalisation de la négociation de prix entre le CEPS et l’IP.

La lisibilité du système français de fixation des prix pâtit aujourd’hui d’une complexité croissante des processus d’évaluation :

  • Du fait de la quasi-simultanéité des évaluations par la même commission de 2 processus que l’on décrit comme différents, Accès Précoce (AP) et Évaluation Médicale précédant la négociation de prix (EM) aboutissant à la cotation d’un Service Médical Rendu et de son Amélioration (SMR et ASMR)
  • Du fait de l’utilisation de critères d’évaluation communs ou redondants entre ces 2 processus.

Plusieurs voies de simplification du système sont possibles. Voici les principes d’une première voie.

La documentation clinique disponible à l’appui d’une demande d’autorisation d’AP ou pour un dossier d’évaluation médicale avant négociation de prix, est dans les faits essentiellement comparable

Cela est évident en cas de demande d’AP post AMM : les dossiers déposés pour ces 2 évaluations reposent sur la même documentation clinique et on ne voit pas ce qui empêche de concevoir un dossier commun et un avis rendu dans le même temps par la CT pour décision par la HAS (AP) et pour marquer le début des négociations avec le CEPS. On pourrait objecter que ceci n’est pas vrai pour les demandes d’AP pré-AMM. Dans les faits, la quasi-totalité de ces demandes ne sont accordées qu’à la phase quasi finale d’enregistrement européen, phase où le ratio bénéfice/risque est suffisamment défini pour anticiper, avec une quasi-certitude, une approbation : à ce stade la documentation clinique est figée et surtout disponible en termes identiques pour un dossier d’AP ou un dossier EM. Même s’il s’agit d’un dévoiement de l’esprit qui a présidé à la mise en place de l’AP, dans les faits, un avis pourrait être rendu de manière simultanée pour les 2 procédures sur les bases d’une même documentation clinique. Cette simultanéité est, nous le verrons, un gage de cohérence.

Les mêmes critères d’évaluation sont utilisés pour ces 2 processus d’évaluation AP et EM ce qui oblige à la cohérence

Nous retrouvons dans AP et SMR les mêmes notions de place dans la stratégie, gravité de la pathologie, besoin médical, prévalence, impact sur état de santé et organisation, bénéfice présumé ou démontré. De même dans AP et ASMR se retrouvent besoin médical, qualité de la démonstration, quantité d’effet versus plan de développement adapté et résultats présomptifs d’un bénéfice, critères d’autant plus convergents que la décision d’AP est contemporaine ou postérieure à l’AMM.

Critères d’évaluation communs, documentation clinique similaire donnent les fondements de la simplification qui repose sur :

  • La remise en cause au moins partielle de la philosophie qui doit présider à l’évaluation
  • L’unification des process AP et EM lorsque ces 2 process sont enclenchés

A une évaluation reposant sur la qualité du dossier fourni, savoir substituer une évaluation de la promesse offerte par une innovation même incertaine

Aujourd’hui la philosophie qui préside à l’évaluation est fondée sur la qualité méthodologique de la démonstration. A l’inverse, peut se substituer une philosophie d’évaluation fondée sur la « promesse produit » (le pari de l’innovation). La démonstration et à fortiori la présomption d’efficacité et de la quantité d’effet qui lui est associée intègrent alors, quelle que soit l’incertitude apportée, données immatures, données non comparatives disponibles, rationnel pharmacologique, comparaisons indirectes, modélisation, littérature…un ensemble méthodologiquement imparfait, permettant de faire un pari raisonnable.

Ces 2 approches ne sont pas mutuellement exclusives mais l’une ou l’autre doivent guider les conclusions de l’évaluation en fonction du degré d’innovation accordé au médicament évalué.

Comment définir une innovation ? On pourrait pragmatiquement considérer que cette dénomination a le plus souvent déjà été donné durant la procédure d’enregistrement européen. Sinon une innovation peut être définie par la place qu’elle occupe au vu de ses caractéristiques présumées ou démontrées au sein d’un espace dessiné par les priorités de santé publiques définies par un État.

Une innovation présumée ou authentifiée doit être rapidement mise à disposition des patients dans des conditions qui contractualisent les conditions de pérennité de sa prise en charge

Il appartient aujourd’hui au laboratoire de déposer un dossier AP et EM, ou le seul dossier EM.

Le dépôt simultané d’un dossier AP et EM signifie que le laboratoire pense détenir une innovation. Ce caractère d’innovation ou de présomption d’innovation doit être reconnu par la CT guidée par une philosophie d’évaluation « promesse produit ». Cette reconnaissance entraine de fait :

  • Avis positif pour un AP,
  • SMR donnant accès au remboursement et
  • Reconnaissance d’une ASMR majeure ou modérée en fonction de la quantité d’effet présumée ou démontrée.

 Le pari d’innovation doit s’accompagner d’un engagement contractuel post évaluation de la part de l’IP, engagement dont l’importance sera proportionnelle à l’importance du pari. Le but de l’engagement contractuel sera de confirmer le caractère innovant du médicament.

Si ce caractère d’innovation n’est pas reconnu par la CT, alors l’AP est refusé et le dossier évalué comme un dossier EM pour lequel la qualité de la démonstra-tion d’effet est prioritaire. Dans ce cas comme dans le cas du simple dépôt d’un dossier EM, le SMR peut reposer sur gravité, besoin médical et qualité de la démonstration, l’ASMR sur la quantité d’effet. Dans ce cadre, l’ensemble des éléments permettant une mesure de la quantité d’effet ayant été à priori fourni, il n’y a pas besoin d’engagement contractuel post évaluation.

A partir d’une définition pragmatique et opérante de ce que l’on définit comme innovation, il est possible d’adapter son approche d’évaluation pour permettre accès rapide, conditions économiques transparentes entre CEPS et IP, et engagements contractuels. Cette approche d’évaluation dont la pensée première est tournée vers le patient est éminemment médicale et garantit cohérence et lisibilité des évaluations.

Rédigé par Edgard Bertrand et Robert Dahan, Euresis Partners

Au cours de ces dernières années, l’industrie pharmaceutique a essentiellement adopté une organisation produit centrée regroupant, sous le drapeau d’un produit, toutes les compétences devant assurer son succès.

La transformation profonde de notre industrie fait, qu’aujourd’hui, certaines de ces compétences sont nouvelles et rares, et que d’autres apparaissent plus essentielles que l’expertise spécifiquement produit.

Le choix d’une organisation centrée autour des compétences assurant le succès des produits apparait comme la réponse appropriée. Une telle organisation, fonction centrée, pose la question de l’adaptation des ressources actuelles à ce nouveau paradigme.

Nous vivons deux révolutions simultanées : la révolution des connaissances et celle de la connectivité. Ces révolutions transforment l’univers de l’Industrie Pharmaceutique.

La révolution des connaissances, c’est l’émergence de technologies nouvelles permettant, par une meilleure compréhension des mécanismes intimes du fonctionnement normal et pathologique de notre corps, le développement de solutions thérapeutiques mieux ciblées voire individualisées.

La révolution de la connectivité est rendue possible par la démocratisation d’objets connectés et de notre capacité exponentielle à traiter l’information ainsi générée. Elle permet l’évaluation continue des interventions de santé et devient le véhicule de nouvelles interactions entre acteurs de santé n’ayant pas l’habitude de communiquer ensemble : patients-professionnels de santé-autorités-payeurs-industriels de santé.

Ces 2 révolutions ont un impact considérable sur l’industrie pharmaceutique : aujourd’hui, les biotech sont responsables de plus de 60% des molécules approuvées aux US et en Europe.

Grâce à la spécificité de leurs produits et aux possibilités offertes par le développement de nouveaux modes d’interactions entre acteurs de la santé, ces biotech n’hésitent moins plus à diffuser leurs innovations sous leur bannière. C’est ainsi que l’on voit apparaitre de nombreuses sociétés pharmaceutiques, mono ou pauci-produits, occupant seules des niches thérapeutiques jusque-là délaissées.

Sous l’impact de ces révolutions, une nouvelle segmentation des produits pharmaceutiques devient pertinente. Elle repose, non plus sur les domaines thérapeutiques, mais sur le nombre de patients concernés et sur le type de prescripteurs potentiels. L’industrie pharmaceutique tient compte de cette segmentation, même aux dépens de son expertise thérapeutique.

Ces 2 révolutions segmentent le portefeuille de médicaments disponibles en 3 groupes.

Viennent d’abord les médicaments ciblés voire individualisés, habituellement indiqués pour un nombre limité de malades et essentiellement sinon uniquement réservés à l’usage de spécialistes (oncologie, maladies rares…).

Ensuite les médicaments destinés à une population plus large mais essentiellement initiés ou prescrits par un spécialiste avec une implication croissante des médecins généralistes : certaines classes de médicaments du diabète, certaines maladies inflammatoires, insuffisance cardiaque, certaines pathologies neurologiques.

Enfin, les médicaments « traditionnels » destinés à une population importante, initiés et prescrits par l’ensemble des médecins et dont une grande partie aujourd’hui a perdu la protection liée au brevet.

Les « grands » laboratoires sont sur le chemin d’abandonner cette dernière catégorie de médicaments. Les plus extrêmes concentrent désormais la totalité de leur effort dans la recherche et le développement de la première catégorie de médicaments, catégorie que l’on peut résumer ainsi : innovation pour un petit nombre de patients pris en charge par un petit nombre d’acteurs.

C’est le paysage de l’industrie pharmaceutique qui se redessine.

Dans le monde hyper concurrentiel de l’innovation de rupture, en dehors des biotechs mono ou pauci produits, coexistent des laboratoires proposant un portefeuille d’innovations hyperciblées, des laboratoires ajoutant à cette innovation hyperciblée un portefeuille de produits plus large mais à forte dominante spécialiste et enfin des laboratoires adressant la population la plus large avec des solutions thérapeutiques plus éprouvées.

Dans l’espace non moins concurrentiel des laboratoires se tenant à l’écart de ces innovations, l’impact de ces révolutions est également à prendre en compte. S’ils ne sont pas acteurs de cette transformation, ils sont cependant sous l’emprise de ses conséquences, pour au moins 2 raisons : leur modèle économique fait face à une pression inédite et l’acquisition et/ou la rétention de talents devient un problème épineux.

Construire ou re-construire une organisation compétitive est un défi à relever pour l’ensemble de la filière pharmaceutique.

Réussir l’adoption de produits ciblés auprès des professionnels de santé, c’est définir les priorités qui ne sont plus centrées sur l’information produit d’un professionnel de santé mais qui visent à permettre l’intégration dans un écosystème de santé : le produit, per se, n’est plus prioritaire, au contraire de l’acquisition de nouvelles expertises qui dessineront l’entreprise.

Avec l’avènement de produits hyperciblés, la réussite d’un lancement passe désormais par l’excellence d’une organisation à comprendre et ensuite à interagir avec un parcours de soin.

Où se trouvent les patients ? Comment sont-ils diagnostiqués ?

Quel est leur parcours de soin depuis l’apparition de leur maladie jusqu’à leur traitement ? Qui sont les professionnels de santé impliqués dans ce parcours, avec pour chacun la définition de leur rôle ?

Qui décide de la stratégie thérapeutique ? Qui fait le suivi et possiblement décide de l’ajustement de cette stratégie thérapeutique ?

Être capable de répondre à ces questions, et ensuite d’élaborer une stratégie d’interaction efficace nécessite la mise en place d’une organisation experte dans ces dimensions.

Face à ces parcours de soins, l’efficacité des interactions passe par une redéfinition de leur utilité et de leur contenu : la connectivité propose des opportunités inédites et valorisantes.

Ces nouvelles expertises devenus critiques sont d’abord génériques avant d’être appliquées à un produit : et parce que nous avons besoin des meilleurs autour des priorités, l’organisation de ces sociétés à produits hyperciblés doit retrouver sa dominante « fonction ».

Par évidence, les biotechs mono ou pauci produits doivent favoriser cette approche dans la mesure où la « fonction » (hors recherche) est une faiblesse critique.

Il est relativement aisé de décider d’un changement d’organisation une fois que les priorités ont été définies. Il est beaucoup plus difficile de faire évoluer les fonctions et responsabilités des collaborateurs.

Dans la méthode à suivre, la définition des priorités amène ensuite aux décisions sur l’organisation. Se pose alors la question de la transition.

Sous l’effet des changements en cours, définir le rôle et le profil des personnes qui font l’interface entre la société et l’ensemble des acteurs de santé est complexe. Dans la majorité des cas, ces personnes ont eu comme rôle de délivrer de l’information sur des produits : nous allons maintenant leurs demander de connaitre l’écosystème de santé, de mettre en place des outils connectés pour partager de l’information, de favoriser le parcours de soins, d’ambitionner une vision patient-centrée.

Cette modification de rôle doit se matérialiser par des transformations quantitatives et qualitatives des interactions, avec de nouveaux interlocuteurs à connaitre et de nouvelles expertises à acquérir : il ne s’agit pas d’ajustements mais bien de transformations, et il n’est jamais sûr que des personnes habituées à informer « produit » durant des années puissent demain reconsidérer fondamentalement leur rôle.

La période transitionnelle doit être parfaitement maitrisée. Cette mise en place ou ce mouvement vers une organisation « fonction » où le produit n’apparait plus comme prioritaire, si elle est efficace et sans risque dans un environnement non concurrentiel (et beaucoup de situations sont non concurrentielles, comme le domaine des maladies rares), est à considérer avec une certaine prudence dans un environnement concurrentiel important.

Dans certaines situations et sans remettre en cause le principe d’une organisation « fonction » au niveau du siège, le maintien additionnel et temporaire d’un axe « produit » peut être envisagé.

La diversité des réponses organisationnelles observées dans le monde pharmaceutique d’aujourd’hui traduit l’absence de réponse univoque : mais dans tous les cas, de nouveaux métiers sont déjà indispensables à l’adoption des nouveaux traitements.

Beaucoup de sociétés pharmaceutiques d’importance ont un portefeuille de produits mixant plusieurs catégories de produits, du produit hyperciblé à ceux répondant aux besoins d’un plus grand nombre de patients mais dont la prescription reste essentiellement initiée par un spécialiste.

Pour ces derniers produits, l’importance quantitative des interactions avec les professionnels de santé, leur niveau plus limité d’information sur les produits et le plus souvent la charge concurrentielle forte, sont autant de raisons de vouloir conserver un axe prioritaire « produits » orientant le choix de l’organisation.

Cet axe prioritaire ne dénie pas l’importance des compétences listées précédemment mais reconnait pragmatiquement que la valorisation de l’offre produit auprès des acteurs de santé continue de requérir le meilleur des ressources.

La diversité des situations a conduit certaines sociétés pharmaceutiques à segmenter leur business en entités quasi indépendantes : une entité pour les maladies rares, une entité pour des thérapeutiques hautement ciblées (le plus souvent l’oncologie) et une entité pour le reste de leur portefeuille produit.

D’autres ont pris le chemin inverse en réunissant la totalité de leur portefeuille sous une seule bannière et en privilégiant l’axe « fonction ».

L’analyse que nous pouvons faire c’est que le choix d’une organisation doit être fonction du portefeuille et de sa segmentation et des priorités que les produits de ce portefeuille induisent. Il doit prendre en compte l’environnement extérieur mais aussi des considérations économiques internes. Il induit la nécessité d’être compétitif pour attirer les nouveaux talents nécessaires à son fonctionnement.

La cohérence entre priorités-organisation-ressources est probablement le défi le plus difficile : les ressources doivent s’adapter aux priorités et non l’inverse, avec, pour y arriver, une redéfinition précise des rôles et métiers et un programme volontariste de formation.

Mettons en regard 2 statistiques :
entre 2001 et 2010, 138 médicaments ou nouvelles indications obtenaient une ASMR de 1 à 3 (majeure à modérée) alors que dans le même temps 229 nouveaux médicaments étaient approuvés par les autorités américaines. Entre 2011 et 2021, ces chiffres étaient de 47 pour une ASMR 1 à 3 pour 690 nouveaux médicaments.

Générer des évidences pour répondre aux attentes des personnes ou entités qui jugent, utilisent ou consomment un médicament est une obligation pour le valoriser au mieux. Cette obligation permet d’optimiser son développement auprès des régulateurs, ses conditions d’accès au marché vis-à-vis des payeurs, son adoption par les professionnels de santé et les patients. Parce que cette démarche de génération d’évidence s’adresse à des entités différentes, elle doit impliquer les différentes composantes d’une société pharmaceutique médical, commercial, accès au marché sous la gouvernance de la direction générale.