La médecine et la méthodologie

L’évaluation des médicaments par la Commission de Transparence est l’objet de nombreux débats. Celui de la nécessaire évolution de sa doctrine dont nous avions souligné la nécessité (« Repenser l’évaluation ») a connu un début de réponse avec la publication d’un texte émanant de la CT et décrivant les conditions d’acceptation d’une comparaison indirecte : 3 pages de conditions restrictives mais il faut souligner cette ouverture et nous serons en mesure dans quelques mois d’en mesurer les effets.

Aujourd’hui s’invite de plus en plus le débat sur la nécessaire médicalisation de la commission et nous avions aussi porté ce débat il y a quelques mois (« médicalisons et simplifions l’évaluation du médicament »). Ce débat mérite d’être redéfini comme le montrent les réponses apportées : « la Commission de Transparence est essentiellement composée de médecins et il n’y a que 2 méthodologistes », ce qui est factuellement vrai, « les médecins de la commission de transparence sont de bons connaisseurs de la méthodologie », ce qui est souhaitable, en tous cas non interdit.

Il faut chercher le sens de « médicaliser la commission de transparence » non pas dans le nombre des médecins présents mais dans la possibilité de cette commission d’appréhender un apport médical au moins autant qu’une qualité de démonstration de cet apport. Si on examine aujourd’hui la composition de la commission de transparence, on s’aperçoit que les grands domaines thérapeutiques y sont représentés mais uniquement par une ou un représentant (à l’exception de l’hémato-oncologie). Les dossiers sont présentés par un chef de projet interne interne (essentiellement non spécialiste du domaine thérapeutique traité) avec éventuellement l’aide d’une ou d’un expert extérieur (pas plus pour éviter tout risque de conflits d’intérêt).

Les médecins de la commission en tant que connaisseurs de la méthodologie des essais, peuvent à priori tous évaluer grossièrement ou finement la qualité de la démonstration mais peuvent-ils réellement tous évaluer l’apport médical. L’évaluation de cet apport médical suppose une connaissance approfondie de la pathologie en cause et de son histoire naturelle, une connaissance approfondie des stratégies de prise en charge, une compréhension fine de ce qu’est un résultat observé pour en mesurer l’intérêt pour un patient. Il est illusoire d’attendre de médecins non impliqués dans la prise en charge au quotidien de certaines pathologies un jugement éclairé sur l’apport de telle ou telle thérapeutique. La spécialisation des thérapeutiques, la discussion autour de pathologies rares voire ultra rares complexifient encore pour des « non spécialistes » leur capacité à juger.

Il n’est pas étonnant dès lors de constater que beaucoup des décisions de la commission sont la conséquence du jugement d’une personne ou d’un couple de personnes. La lecture des transcriptions des débats de la Commission montre bien l’effet d’entrainement du spécialiste de la commission et le nombre très limité d’intervenants dans le débat. En d’autres termes si la qualité de la démonstration peut être évaluée par plusieurs, l’évaluation de l’apport thérapeutique potentiel ou réel est l’apanage d’un seul.

Médicaliser la commission de transparence, ce n’est pas avoir des médecins en nombre dans la commission, c’est avoir une diversité d’opinions médicales expertes et éclairées pour débattre de l’apport médical d’un produit (ce qui est beaucoup plus complexe que de débattre de la qualité méthodologique d’une démonstration)

On pressent tous que seuls des comités d’experts du domaine médical évalué peuvent émettre une opinion médicale contradictoire sur l’apport des nouveaux médicaments. Ces avis de comités d’experts sont encore plus nécessaires pour les dossiers les plus spécialisés où la connaissance médicale est peu partagée.

Si nous acceptons l’idée que l’avis émanant d’un comité d’experts vaut mieux que l’opinion d’une personne, alors nous saurons nous affranchir de la suspicion de conflits d’intérêt qui entoure ces comités et nous saurons surtout introduire la vraie dimension médicale dans l’évaluation.