Les médicaments matures : Vont-ils disparaître des pharmacies ?

Les médicaments matures, ou anciens médicaments, sont des médicaments indispensables qui représentent la majorité des 8 000 médicaments disponibles dans les pharmacies françaises

En quoi les médicaments matures sont-ils utiles et indispensables ?

Dans son rapport sur la vulnérabilité d’approvisionnement en produits de santé de décembre 2021, l’lGAS a recensé, à titre d’exemple, les médicaments critiques de 2 aires thérapeutiques : la cardiologie et l’anesthésie réanimation.

Résultat : Chacun des 53 produits listés (23 en cardiologie et 30 en anesthésie réanimation) rentre dans la catégorie des produits matures.

Pour rappel, la définition appliquée au terme de « médicament critique » est la suivante : médicaments présentant non seulement un intérêt thérapeutique majeur mais aussi un caractère irremplaçable, parfois majoritairement présents dans plusieurs classes thérapeutiques (infectiologie, cardio-vasculaire, anesthésie, endocrinologie…)

Il y a, bien sûr, de nombreux médicaments nouveaux qui répondent à cette définition, qui plus est quand il s’agit d’innovations de rupture, mais leur nombre reste encore limité face à la longue histoire des produits matures.

Il en va donc ainsi : sauf à compromettre dangereusement la qualité de nos soins, ce que personne n’accepterait, les produits pharmaceutiques matures restent indispensables à notre santé.

Derrière la nécessité de continuer à disposer de ces produits, une autre dimension est désormais au cœur des préoccupations des acteurs de Santé Publique : le contrôle géographique de leur production.

Alors que la crise sanitaire nous a mis brutalement face aux conséquences de cette recherche incessante d’économies sur les couts des produits matures, la densité du tissu industriel pharmaceutique national est devenue, selon les termes du Haut-Commissariat au plan, un enjeu fondamental, essentiel et vital pour la sécurité de notre pays et de sa population. 

En outre les médicaments matures sont en France à large volume dans la pharmacopée et à très faibles prix.

Selon une récente étude de Simon Kucher, 33% des médicaments d’intérêt sanitaire et stratégique sont désormais à un prix journalier inférieur à 25 centimes d’euros. 

Dans les classes thérapeutiques où les produits matures sont majoritaires, les prix sont encore plus infimes : 16 centimes en infectiologie, 10 centimes en endocrinologie, et moins de 3 centimes pour une pilule à base de désogestrel.

Non seulement les prix des produits matures n’ont pas augmenté mais ils ont baissé au fil des ans, de 40% entre 1990 et 2021, avec l’arrivée des génériques et des baisses de prix imposées par l’État pour financer l’arrivée des nouveaux médicaments. Cette spirale déflationniste des prix de cette catégorie de médicaments a atteint ses limites.

Les médicaments matures menacés de disparition en France

Deux raisons aux conséquences graves expliquent cette situation :

Des producteurs sans soutien.

Les médicaments anciens sont délaissés par l’État, et considérés comme non prioritaires pour les Grands Groupes Pharmaceutiques.

Le tissu industriel pharmaceutique français est constitué de près de 250 entreprises produisant dans 270 usines, pour la plupart fabricant des médicaments traditionnels pour lesquels les principes actifs proviennent an majorité d’Asie.

Les produits matures, par définition anciens, sont sortis il y a 30 à 50 ans voire plus, fabriqués pour la plupart par des petites entreprises (80% des entreprises du médicament ne représentent que 12% du CA du secteur). Leurs prix de vente fabricant, régulés, n’ont jamais été réévalués par les Pouvoirs Publics depuis leurs sorties au XXème siècle alors que le coût de la vie a augmenté de 55% entre 1990 et 2021.

Les « grands » Groupes qui disposent de produits matures dans leur portefeuille produits de médicaments matures, tous génériqués ou généricables, les ont délaissés ou rétrocédés ou ont délocalisé leur production dans des pays moins coûteux, focalisant leurs moyens sur la Recherche et les nouveaux produits innovants.

Des producteurs asphyxiés en France par des prix de remboursement administrés en baisse, et subissant une hausse des coûts de production due à l’inflation mondiale post-Covid sur les matières premières ainsi qu’au surenchérissement des coûts de l’énergie et du transport.

La conséquence de cet effet ciseau, baisse des prix de ventes et augmentation des prix de revient, entraine un étranglement des petites entreprises dépendantes de la production de ces médicaments à fort volume mais désormais sans revenu.

La tentation pour les laboratoires est alors grande de dérembourser des pans entiers de produits matures ou de produire en priorité pour les pays européens qui auraient pris des mesures pragmatiques de bon sens pour assurer la pérennité de ces traitements utiles pour le plus grand nombre. La France ferait alors face à des problèmes d’approvisionnement entrainant des ruptures de stock pour les patients.

Pour un plan de sauvegarde des médicaments matures en France et conditions nécessaires.

Après les déserts médicaux, le risque d’une désertification de la pharmacopée remboursable pour les soins courants, est un risque réel en France.

Si les Pouvoirs Publics ont vaillamment pris des mesures pour encourager la recherche biomédicale et les innovations thérapeutiques, il serait opportun et urgent que l’État déploie un plan de sauvegarde collectif pour cette partie de notre pharmacopée.

Rappelons que la pharmacopée en France est constituée de 2800 substances actives qui donnent lieu à 8000 médicaments disponibles en pharmacie et que le nombre de nouvelles substances enregistrées chaque année en Europe varie entre 50 et 60, n’oublions pas les autres médicaments…

Un plan de sauvegarde des médicaments matures en France doit être déployer et intégrer des mesures telles que :

  • Identifier les produits ou classes de produits à risque dont la présence s’avérera toujours indispensable dans le futur, avec une anticipation sur 5 ans.
  • Actualiser les niveaux de prix de remboursement par des mesures de réévaluation des prix de remboursement, collective par classe thérapeutique, et non individuelle par laboratoire, comme cela se pratique dans les pays voisins. Il s’agit de sauver des produits et non des laboratoires.
  • Modifier les règles rigides de déremboursement, actuellement bureaucratiques et irréalisables.
  • Intégrer une politique fiscale de décarbonisation du secteur pharmaceutique par une taxation des importations hors Europe ou un encouragement à une production européenne.
  • Réallouer les remises produits, payées par les l’industrie pharmaceutique sur les produits innovants, à des hausses de prix de produits indispensables à faibles prix.

De même que l’État avait institué une clause de sauvegarde pour sécuriser le financement des médicaments, il y a urgence, en termes de Santé Publique, à instituer un plan de sauvegarde pour sécuriser l’approvisionnement des médicaments matures et ce pour un impact économique minime.

La pharmacopée est constituée de 8 000 médicaments, face à 15 000 maladies, n’éradiquons pas les médicaments les plus consommés.

D’autres pays européens ont déjà pris des mesures, la France ne peut rester à l’écart. 

Philippe Géhin, Edgard Bertrand, Robert Dahan
Associés Fondateurs Euresis Partners