Rédigé par Edgard Bertrand et Robert Dahan, Euresis Partners
Au cours de ces dernières années, l’industrie pharmaceutique a essentiellement adopté une organisation produit centrée regroupant, sous le drapeau d’un produit, toutes les compétences devant assurer son succès.
La transformation profonde de notre industrie fait, qu’aujourd’hui, certaines de ces compétences sont nouvelles et rares, et que d’autres apparaissent plus essentielles que l’expertise spécifiquement produit.
Le choix d’une organisation centrée autour des compétences assurant le succès des produits apparait comme la réponse appropriée. Une telle organisation, fonction centrée, pose la question de l’adaptation des ressources actuelles à ce nouveau paradigme.
Nous vivons deux révolutions simultanées : la révolution des connaissances et celle de la connectivité. Ces révolutions transforment l’univers de l’Industrie Pharmaceutique.
La révolution des connaissances, c’est l’émergence de technologies nouvelles permettant, par une meilleure compréhension des mécanismes intimes du fonctionnement normal et pathologique de notre corps, le développement de solutions thérapeutiques mieux ciblées voire individualisées.
La révolution de la connectivité est rendue possible par la démocratisation d’objets connectés et de notre capacité exponentielle à traiter l’information ainsi générée. Elle permet l’évaluation continue des interventions de santé et devient le véhicule de nouvelles interactions entre acteurs de santé n’ayant pas l’habitude de communiquer ensemble : patients-professionnels de santé-autorités-payeurs-industriels de santé.
Ces 2 révolutions ont un impact considérable sur l’industrie pharmaceutique : aujourd’hui, les biotech sont responsables de plus de 60% des molécules approuvées aux US et en Europe.
Grâce à la spécificité de leurs produits et aux possibilités offertes par le développement de nouveaux modes d’interactions entre acteurs de la santé, ces biotech n’hésitent moins plus à diffuser leurs innovations sous leur bannière. C’est ainsi que l’on voit apparaitre de nombreuses sociétés pharmaceutiques, mono ou pauci-produits, occupant seules des niches thérapeutiques jusque-là délaissées.
Sous l’impact de ces révolutions, une nouvelle segmentation des produits pharmaceutiques devient pertinente. Elle repose, non plus sur les domaines thérapeutiques, mais sur le nombre de patients concernés et sur le type de prescripteurs potentiels. L’industrie pharmaceutique tient compte de cette segmentation, même aux dépens de son expertise thérapeutique.
Ces 2 révolutions segmentent le portefeuille de médicaments disponibles en 3 groupes.
Viennent d’abord les médicaments ciblés voire individualisés, habituellement indiqués pour un nombre limité de malades et essentiellement sinon uniquement réservés à l’usage de spécialistes (oncologie, maladies rares…).
Ensuite les médicaments destinés à une population plus large mais essentiellement initiés ou prescrits par un spécialiste avec une implication croissante des médecins généralistes : certaines classes de médicaments du diabète, certaines maladies inflammatoires, insuffisance cardiaque, certaines pathologies neurologiques.
Enfin, les médicaments « traditionnels » destinés à une population importante, initiés et prescrits par l’ensemble des médecins et dont une grande partie aujourd’hui a perdu la protection liée au brevet.
Les « grands » laboratoires sont sur le chemin d’abandonner cette dernière catégorie de médicaments. Les plus extrêmes concentrent désormais la totalité de leur effort dans la recherche et le développement de la première catégorie de médicaments, catégorie que l’on peut résumer ainsi : innovation pour un petit nombre de patients pris en charge par un petit nombre d’acteurs.
C’est le paysage de l’industrie pharmaceutique qui se redessine.
Dans le monde hyper concurrentiel de l’innovation de rupture, en dehors des biotechs mono ou pauci produits, coexistent des laboratoires proposant un portefeuille d’innovations hyperciblées, des laboratoires ajoutant à cette innovation hyperciblée un portefeuille de produits plus large mais à forte dominante spécialiste et enfin des laboratoires adressant la population la plus large avec des solutions thérapeutiques plus éprouvées.
Dans l’espace non moins concurrentiel des laboratoires se tenant à l’écart de ces innovations, l’impact de ces révolutions est également à prendre en compte. S’ils ne sont pas acteurs de cette transformation, ils sont cependant sous l’emprise de ses conséquences, pour au moins 2 raisons : leur modèle économique fait face à une pression inédite et l’acquisition et/ou la rétention de talents devient un problème épineux.
Construire ou re-construire une organisation compétitive est un défi à relever pour l’ensemble de la filière pharmaceutique.
Réussir l’adoption de produits ciblés auprès des professionnels de santé, c’est définir les priorités qui ne sont plus centrées sur l’information produit d’un professionnel de santé mais qui visent à permettre l’intégration dans un écosystème de santé : le produit, per se, n’est plus prioritaire, au contraire de l’acquisition de nouvelles expertises qui dessineront l’entreprise.
Avec l’avènement de produits hyperciblés, la réussite d’un lancement passe désormais par l’excellence d’une organisation à comprendre et ensuite à interagir avec un parcours de soin.
Où se trouvent les patients ? Comment sont-ils diagnostiqués ?
Quel est leur parcours de soin depuis l’apparition de leur maladie jusqu’à leur traitement ? Qui sont les professionnels de santé impliqués dans ce parcours, avec pour chacun la définition de leur rôle ?
Qui décide de la stratégie thérapeutique ? Qui fait le suivi et possiblement décide de l’ajustement de cette stratégie thérapeutique ?
Être capable de répondre à ces questions, et ensuite d’élaborer une stratégie d’interaction efficace nécessite la mise en place d’une organisation experte dans ces dimensions.
Face à ces parcours de soins, l’efficacité des interactions passe par une redéfinition de leur utilité et de leur contenu : la connectivité propose des opportunités inédites et valorisantes.
Ces nouvelles expertises devenus critiques sont d’abord génériques avant d’être appliquées à un produit : et parce que nous avons besoin des meilleurs autour des priorités, l’organisation de ces sociétés à produits hyperciblés doit retrouver sa dominante « fonction ».
Par évidence, les biotechs mono ou pauci produits doivent favoriser cette approche dans la mesure où la « fonction » (hors recherche) est une faiblesse critique.
Il est relativement aisé de décider d’un changement d’organisation une fois que les priorités ont été définies. Il est beaucoup plus difficile de faire évoluer les fonctions et responsabilités des collaborateurs.
Dans la méthode à suivre, la définition des priorités amène ensuite aux décisions sur l’organisation. Se pose alors la question de la transition.
Sous l’effet des changements en cours, définir le rôle et le profil des personnes qui font l’interface entre la société et l’ensemble des acteurs de santé est complexe. Dans la majorité des cas, ces personnes ont eu comme rôle de délivrer de l’information sur des produits : nous allons maintenant leurs demander de connaitre l’écosystème de santé, de mettre en place des outils connectés pour partager de l’information, de favoriser le parcours de soins, d’ambitionner une vision patient-centrée.
Cette modification de rôle doit se matérialiser par des transformations quantitatives et qualitatives des interactions, avec de nouveaux interlocuteurs à connaitre et de nouvelles expertises à acquérir : il ne s’agit pas d’ajustements mais bien de transformations, et il n’est jamais sûr que des personnes habituées à informer « produit » durant des années puissent demain reconsidérer fondamentalement leur rôle.
La période transitionnelle doit être parfaitement maitrisée. Cette mise en place ou ce mouvement vers une organisation « fonction » où le produit n’apparait plus comme prioritaire, si elle est efficace et sans risque dans un environnement non concurrentiel (et beaucoup de situations sont non concurrentielles, comme le domaine des maladies rares), est à considérer avec une certaine prudence dans un environnement concurrentiel important.
Dans certaines situations et sans remettre en cause le principe d’une organisation « fonction » au niveau du siège, le maintien additionnel et temporaire d’un axe « produit » peut être envisagé.
La diversité des réponses organisationnelles observées dans le monde pharmaceutique d’aujourd’hui traduit l’absence de réponse univoque : mais dans tous les cas, de nouveaux métiers sont déjà indispensables à l’adoption des nouveaux traitements.
Beaucoup de sociétés pharmaceutiques d’importance ont un portefeuille de produits mixant plusieurs catégories de produits, du produit hyperciblé à ceux répondant aux besoins d’un plus grand nombre de patients mais dont la prescription reste essentiellement initiée par un spécialiste.
Pour ces derniers produits, l’importance quantitative des interactions avec les professionnels de santé, leur niveau plus limité d’information sur les produits et le plus souvent la charge concurrentielle forte, sont autant de raisons de vouloir conserver un axe prioritaire « produits » orientant le choix de l’organisation.
Cet axe prioritaire ne dénie pas l’importance des compétences listées précédemment mais reconnait pragmatiquement que la valorisation de l’offre produit auprès des acteurs de santé continue de requérir le meilleur des ressources.
La diversité des situations a conduit certaines sociétés pharmaceutiques à segmenter leur business en entités quasi indépendantes : une entité pour les maladies rares, une entité pour des thérapeutiques hautement ciblées (le plus souvent l’oncologie) et une entité pour le reste de leur portefeuille produit.
D’autres ont pris le chemin inverse en réunissant la totalité de leur portefeuille sous une seule bannière et en privilégiant l’axe « fonction ».
L’analyse que nous pouvons faire c’est que le choix d’une organisation doit être fonction du portefeuille et de sa segmentation et des priorités que les produits de ce portefeuille induisent. Il doit prendre en compte l’environnement extérieur mais aussi des considérations économiques internes. Il induit la nécessité d’être compétitif pour attirer les nouveaux talents nécessaires à son fonctionnement.
La cohérence entre priorités-organisation-ressources est probablement le défi le plus difficile : les ressources doivent s’adapter aux priorités et non l’inverse, avec, pour y arriver, une redéfinition précise des rôles et métiers et un programme volontariste de formation.
Les médicaments matures : Vont-ils disparaître des pharmacies ?
Les médicaments matures, ou anciens médicaments, sont des médicaments indispensables qui représentent la majorité des 8 000 médicaments disponibles dans les pharmacies françaises
En quoi les médicaments matures sont-ils utiles et indispensables ?
Dans son rapport sur la vulnérabilité d’approvisionnement en produits de santé de décembre 2021, l’lGAS a recensé, à titre d’exemple, les médicaments critiques de 2 aires thérapeutiques : la cardiologie et l’anesthésie réanimation.
Résultat : Chacun des 53 produits listés (23 en cardiologie et 30 en anesthésie réanimation) rentre dans la catégorie des produits matures.
Pour rappel, la définition appliquée au terme de « médicament critique » est la suivante : médicaments présentant non seulement un intérêt thérapeutique majeur mais aussi un caractère irremplaçable, parfois majoritairement présents dans plusieurs classes thérapeutiques (infectiologie, cardio-vasculaire, anesthésie, endocrinologie…)
Il y a, bien sûr, de nombreux médicaments nouveaux qui répondent à cette définition, qui plus est quand il s’agit d’innovations de rupture, mais leur nombre reste encore limité face à la longue histoire des produits matures.
Il en va donc ainsi : sauf à compromettre dangereusement la qualité de nos soins, ce que personne n’accepterait, les produits pharmaceutiques matures restent indispensables à notre santé.
Derrière la nécessité de continuer à disposer de ces produits, une autre dimension est désormais au cœur des préoccupations des acteurs de Santé Publique : le contrôle géographique de leur production.
Alors que la crise sanitaire nous a mis brutalement face aux conséquences de cette recherche incessante d’économies sur les couts des produits matures, la densité du tissu industriel pharmaceutique national est devenue, selon les termes du Haut-Commissariat au plan, un enjeu fondamental, essentiel et vital pour la sécurité de notre pays et de sa population.
En outre les médicaments matures sont en France à large volume dans la pharmacopée et à très faibles prix.
Selon une récente étude de Simon Kucher, 33% des médicaments d’intérêt sanitaire et stratégique sont désormais à un prix journalier inférieur à 25 centimes d’euros.
Dans les classes thérapeutiques où les produits matures sont majoritaires, les prix sont encore plus infimes : 16 centimes en infectiologie, 10 centimes en endocrinologie, et moins de 3 centimes pour une pilule à base de désogestrel.
Non seulement les prix des produits matures n’ont pas augmenté mais ils ont baissé au fil des ans, de 40% entre 1990 et 2021, avec l’arrivée des génériques et des baisses de prix imposées par l’État pour financer l’arrivée des nouveaux médicaments. Cette spirale déflationniste des prix de cette catégorie de médicaments a atteint ses limites.
Les médicaments matures menacés de disparition en France
Deux raisons aux conséquences graves expliquent cette situation :
Des producteurs sans soutien.
Les médicaments anciens sont délaissés par l’État, et considérés comme non prioritaires pour les Grands Groupes Pharmaceutiques.
Le tissu industriel pharmaceutique français est constitué de près de 250 entreprises produisant dans 270 usines, pour la plupart fabricant des médicaments traditionnels pour lesquels les principes actifs proviennent an majorité d’Asie.
Les produits matures, par définition anciens, sont sortis il y a 30 à 50 ans voire plus, fabriqués pour la plupart par des petites entreprises (80% des entreprises du médicament ne représentent que 12% du CA du secteur). Leurs prix de vente fabricant, régulés, n’ont jamais été réévalués par les Pouvoirs Publics depuis leurs sorties au XXème siècle alors que le coût de la vie a augmenté de 55% entre 1990 et 2021.
Les « grands » Groupes qui disposent de produits matures dans leur portefeuille produits de médicaments matures, tous génériqués ou généricables, les ont délaissés ou rétrocédés ou ont délocalisé leur production dans des pays moins coûteux, focalisant leurs moyens sur la Recherche et les nouveaux produits innovants.
Des producteurs asphyxiés en France par des prix de remboursement administrés en baisse, et subissant une hausse des coûts de production due à l’inflation mondiale post-Covid sur les matières premières ainsi qu’au surenchérissement des coûts de l’énergie et du transport.
La conséquence de cet effet ciseau, baisse des prix de ventes et augmentation des prix de revient, entraine un étranglement des petites entreprises dépendantes de la production de ces médicaments à fort volume mais désormais sans revenu.
La tentation pour les laboratoires est alors grande de dérembourser des pans entiers de produits matures ou de produire en priorité pour les pays européens qui auraient pris des mesures pragmatiques de bon sens pour assurer la pérennité de ces traitements utiles pour le plus grand nombre. La France ferait alors face à des problèmes d’approvisionnement entrainant des ruptures de stock pour les patients.
Pour un plan de sauvegarde des médicaments matures en France et conditions nécessaires.
Après les déserts médicaux, le risque d’une désertification de la pharmacopée remboursable pour les soins courants, est un risque réel en France.
Si les Pouvoirs Publics ont vaillamment pris des mesures pour encourager la recherche biomédicale et les innovations thérapeutiques, il serait opportun et urgent que l’État déploie un plan de sauvegarde collectif pour cette partie de notre pharmacopée.
Rappelons que la pharmacopée en France est constituée de 2800 substances actives qui donnent lieu à 8000 médicaments disponibles en pharmacie et que le nombre de nouvelles substances enregistrées chaque année en Europe varie entre 50 et 60, n’oublions pas les autres médicaments…
Un plan de sauvegarde des médicaments matures en France doit être déployer et intégrer des mesures telles que :
De même que l’État avait institué une clause de sauvegarde pour sécuriser le financement des médicaments, il y a urgence, en termes de Santé Publique, à instituer un plan de sauvegarde pour sécuriser l’approvisionnement des médicaments matures et ce pour un impact économique minime.
La pharmacopée est constituée de 8 000 médicaments, face à 15 000 maladies, n’éradiquons pas les médicaments les plus consommés.
D’autres pays européens ont déjà pris des mesures, la France ne peut rester à l’écart.
Philippe Géhin, Edgard Bertrand, Robert Dahan
Associés Fondateurs Euresis Partners
Évaluation des médicaments, une appétence au pari et un besoin de simplification
EuresisPartners, coordonné par Robert Dahan et Philippe Gehin
Le système français de fixation du prix des médicaments repose sur un processus et des règles simples : un avis scientifique donné par une commission (CT) réputée indépendante éclairant la fixation d’un prix pour un comité économique (CEPS) selon les règles d’un accord cadre négociées tous les 3 ans avec les représentants de l’industrie pharmaceutique (IP).
Depuis 2022 la CT a une nouvelle mission : donner son avis au collège de la HAS sur la possibilité, pour une nouvelle molécule ou une nouvelle indication, d’un Accès Précoce (AP) avant ou après Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) et avant finalisation de la négociation de prix entre le CEPS et l’IP.
La lisibilité du système français de fixation des prix pâtit aujourd’hui d’une complexité croissante des processus d’évaluation :
Plusieurs voies de simplification du système sont possibles. Voici les principes d’une première voie.
La documentation clinique disponible à l’appui d’une demande d’autorisation d’AP ou pour un dossier d’évaluation médicale avant négociation de prix, est dans les faits essentiellement comparable
Cela est évident en cas de demande d’AP post AMM : les dossiers déposés pour ces 2 évaluations reposent sur la même documentation clinique et on ne voit pas ce qui empêche de concevoir un dossier commun et un avis rendu dans le même temps par la CT pour décision par la HAS (AP) et pour marquer le début des négociations avec le CEPS. On pourrait objecter que ceci n’est pas vrai pour les demandes d’AP pré-AMM. Dans les faits, la quasi-totalité de ces demandes ne sont accordées qu’à la phase quasi finale d’enregistrement européen, phase où le ratio bénéfice/risque est suffisamment défini pour anticiper, avec une quasi-certitude, une approbation : à ce stade la documentation clinique est figée et surtout disponible en termes identiques pour un dossier d’AP ou un dossier EM. Même s’il s’agit d’un dévoiement de l’esprit qui a présidé à la mise en place de l’AP, dans les faits, un avis pourrait être rendu de manière simultanée pour les 2 procédures sur les bases d’une même documentation clinique. Cette simultanéité est, nous le verrons, un gage de cohérence.
Les mêmes critères d’évaluation sont utilisés pour ces 2 processus d’évaluation AP et EM ce qui oblige à la cohérence
Nous retrouvons dans AP et SMR les mêmes notions de place dans la stratégie, gravité de la pathologie, besoin médical, prévalence, impact sur état de santé et organisation, bénéfice présumé ou démontré. De même dans AP et ASMR se retrouvent besoin médical, qualité de la démonstration, quantité d’effet versus plan de développement adapté et résultats présomptifs d’un bénéfice, critères d’autant plus convergents que la décision d’AP est contemporaine ou postérieure à l’AMM.
Critères d’évaluation communs, documentation clinique similaire donnent les fondements de la simplification qui repose sur :
A une évaluation reposant sur la qualité du dossier fourni, savoir substituer une évaluation de la promesse offerte par une innovation même incertaine
Aujourd’hui la philosophie qui préside à l’évaluation est fondée sur la qualité méthodologique de la démonstration. A l’inverse, peut se substituer une philosophie d’évaluation fondée sur la « promesse produit » (le pari de l’innovation). La démonstration et à fortiori la présomption d’efficacité et de la quantité d’effet qui lui est associée intègrent alors, quelle que soit l’incertitude apportée, données immatures, données non comparatives disponibles, rationnel pharmacologique, comparaisons indirectes, modélisation, littérature…un ensemble méthodologiquement imparfait, permettant de faire un pari raisonnable.
Ces 2 approches ne sont pas mutuellement exclusives mais l’une ou l’autre doivent guider les conclusions de l’évaluation en fonction du degré d’innovation accordé au médicament évalué.
Comment définir une innovation ? On pourrait pragmatiquement considérer que cette dénomination a le plus souvent déjà été donné durant la procédure d’enregistrement européen. Sinon une innovation peut être définie par la place qu’elle occupe au vu de ses caractéristiques présumées ou démontrées au sein d’un espace dessiné par les priorités de santé publiques définies par un État.
Une innovation présumée ou authentifiée doit être rapidement mise à disposition des patients dans des conditions qui contractualisent les conditions de pérennité de sa prise en charge
Il appartient aujourd’hui au laboratoire de déposer un dossier AP et EM, ou le seul dossier EM.
Le dépôt simultané d’un dossier AP et EM signifie que le laboratoire pense détenir une innovation. Ce caractère d’innovation ou de présomption d’innovation doit être reconnu par la CT guidée par une philosophie d’évaluation « promesse produit ». Cette reconnaissance entraine de fait :
Le pari d’innovation doit s’accompagner d’un engagement contractuel post évaluation de la part de l’IP, engagement dont l’importance sera proportionnelle à l’importance du pari. Le but de l’engagement contractuel sera de confirmer le caractère innovant du médicament.
Si ce caractère d’innovation n’est pas reconnu par la CT, alors l’AP est refusé et le dossier évalué comme un dossier EM pour lequel la qualité de la démonstra-tion d’effet est prioritaire. Dans ce cas comme dans le cas du simple dépôt d’un dossier EM, le SMR peut reposer sur gravité, besoin médical et qualité de la démonstration, l’ASMR sur la quantité d’effet. Dans ce cadre, l’ensemble des éléments permettant une mesure de la quantité d’effet ayant été à priori fourni, il n’y a pas besoin d’engagement contractuel post évaluation.
A partir d’une définition pragmatique et opérante de ce que l’on définit comme innovation, il est possible d’adapter son approche d’évaluation pour permettre accès rapide, conditions économiques transparentes entre CEPS et IP, et engagements contractuels. Cette approche d’évaluation dont la pensée première est tournée vers le patient est éminemment médicale et garantit cohérence et lisibilité des évaluations.
Organisation produit ou fonction centrée, l’éternel débat encore relancé
Rédigé par Edgard Bertrand et Robert Dahan, Euresis Partners
Au cours de ces dernières années, l’industrie pharmaceutique a essentiellement adopté une organisation produit centrée regroupant, sous le drapeau d’un produit, toutes les compétences devant assurer son succès.
La transformation profonde de notre industrie fait, qu’aujourd’hui, certaines de ces compétences sont nouvelles et rares, et que d’autres apparaissent plus essentielles que l’expertise spécifiquement produit.
Le choix d’une organisation centrée autour des compétences assurant le succès des produits apparait comme la réponse appropriée. Une telle organisation, fonction centrée, pose la question de l’adaptation des ressources actuelles à ce nouveau paradigme.
Nous vivons deux révolutions simultanées : la révolution des connaissances et celle de la connectivité. Ces révolutions transforment l’univers de l’Industrie Pharmaceutique.
La révolution des connaissances, c’est l’émergence de technologies nouvelles permettant, par une meilleure compréhension des mécanismes intimes du fonctionnement normal et pathologique de notre corps, le développement de solutions thérapeutiques mieux ciblées voire individualisées.
La révolution de la connectivité est rendue possible par la démocratisation d’objets connectés et de notre capacité exponentielle à traiter l’information ainsi générée. Elle permet l’évaluation continue des interventions de santé et devient le véhicule de nouvelles interactions entre acteurs de santé n’ayant pas l’habitude de communiquer ensemble : patients-professionnels de santé-autorités-payeurs-industriels de santé.
Ces 2 révolutions ont un impact considérable sur l’industrie pharmaceutique : aujourd’hui, les biotech sont responsables de plus de 60% des molécules approuvées aux US et en Europe.
Grâce à la spécificité de leurs produits et aux possibilités offertes par le développement de nouveaux modes d’interactions entre acteurs de la santé, ces biotech n’hésitent moins plus à diffuser leurs innovations sous leur bannière. C’est ainsi que l’on voit apparaitre de nombreuses sociétés pharmaceutiques, mono ou pauci-produits, occupant seules des niches thérapeutiques jusque-là délaissées.
Sous l’impact de ces révolutions, une nouvelle segmentation des produits pharmaceutiques devient pertinente. Elle repose, non plus sur les domaines thérapeutiques, mais sur le nombre de patients concernés et sur le type de prescripteurs potentiels. L’industrie pharmaceutique tient compte de cette segmentation, même aux dépens de son expertise thérapeutique.
Ces 2 révolutions segmentent le portefeuille de médicaments disponibles en 3 groupes.
Viennent d’abord les médicaments ciblés voire individualisés, habituellement indiqués pour un nombre limité de malades et essentiellement sinon uniquement réservés à l’usage de spécialistes (oncologie, maladies rares…).
Ensuite les médicaments destinés à une population plus large mais essentiellement initiés ou prescrits par un spécialiste avec une implication croissante des médecins généralistes : certaines classes de médicaments du diabète, certaines maladies inflammatoires, insuffisance cardiaque, certaines pathologies neurologiques.
Enfin, les médicaments « traditionnels » destinés à une population importante, initiés et prescrits par l’ensemble des médecins et dont une grande partie aujourd’hui a perdu la protection liée au brevet.
Les « grands » laboratoires sont sur le chemin d’abandonner cette dernière catégorie de médicaments. Les plus extrêmes concentrent désormais la totalité de leur effort dans la recherche et le développement de la première catégorie de médicaments, catégorie que l’on peut résumer ainsi : innovation pour un petit nombre de patients pris en charge par un petit nombre d’acteurs.
C’est le paysage de l’industrie pharmaceutique qui se redessine.
Dans le monde hyper concurrentiel de l’innovation de rupture, en dehors des biotechs mono ou pauci produits, coexistent des laboratoires proposant un portefeuille d’innovations hyperciblées, des laboratoires ajoutant à cette innovation hyperciblée un portefeuille de produits plus large mais à forte dominante spécialiste et enfin des laboratoires adressant la population la plus large avec des solutions thérapeutiques plus éprouvées.
Dans l’espace non moins concurrentiel des laboratoires se tenant à l’écart de ces innovations, l’impact de ces révolutions est également à prendre en compte. S’ils ne sont pas acteurs de cette transformation, ils sont cependant sous l’emprise de ses conséquences, pour au moins 2 raisons : leur modèle économique fait face à une pression inédite et l’acquisition et/ou la rétention de talents devient un problème épineux.
Construire ou re-construire une organisation compétitive est un défi à relever pour l’ensemble de la filière pharmaceutique.
Réussir l’adoption de produits ciblés auprès des professionnels de santé, c’est définir les priorités qui ne sont plus centrées sur l’information produit d’un professionnel de santé mais qui visent à permettre l’intégration dans un écosystème de santé : le produit, per se, n’est plus prioritaire, au contraire de l’acquisition de nouvelles expertises qui dessineront l’entreprise.
Avec l’avènement de produits hyperciblés, la réussite d’un lancement passe désormais par l’excellence d’une organisation à comprendre et ensuite à interagir avec un parcours de soin.
Où se trouvent les patients ? Comment sont-ils diagnostiqués ?
Quel est leur parcours de soin depuis l’apparition de leur maladie jusqu’à leur traitement ? Qui sont les professionnels de santé impliqués dans ce parcours, avec pour chacun la définition de leur rôle ?
Qui décide de la stratégie thérapeutique ? Qui fait le suivi et possiblement décide de l’ajustement de cette stratégie thérapeutique ?
Être capable de répondre à ces questions, et ensuite d’élaborer une stratégie d’interaction efficace nécessite la mise en place d’une organisation experte dans ces dimensions.
Face à ces parcours de soins, l’efficacité des interactions passe par une redéfinition de leur utilité et de leur contenu : la connectivité propose des opportunités inédites et valorisantes.
Ces nouvelles expertises devenus critiques sont d’abord génériques avant d’être appliquées à un produit : et parce que nous avons besoin des meilleurs autour des priorités, l’organisation de ces sociétés à produits hyperciblés doit retrouver sa dominante « fonction ».
Par évidence, les biotechs mono ou pauci produits doivent favoriser cette approche dans la mesure où la « fonction » (hors recherche) est une faiblesse critique.
Il est relativement aisé de décider d’un changement d’organisation une fois que les priorités ont été définies. Il est beaucoup plus difficile de faire évoluer les fonctions et responsabilités des collaborateurs.
Dans la méthode à suivre, la définition des priorités amène ensuite aux décisions sur l’organisation. Se pose alors la question de la transition.
Sous l’effet des changements en cours, définir le rôle et le profil des personnes qui font l’interface entre la société et l’ensemble des acteurs de santé est complexe. Dans la majorité des cas, ces personnes ont eu comme rôle de délivrer de l’information sur des produits : nous allons maintenant leurs demander de connaitre l’écosystème de santé, de mettre en place des outils connectés pour partager de l’information, de favoriser le parcours de soins, d’ambitionner une vision patient-centrée.
Cette modification de rôle doit se matérialiser par des transformations quantitatives et qualitatives des interactions, avec de nouveaux interlocuteurs à connaitre et de nouvelles expertises à acquérir : il ne s’agit pas d’ajustements mais bien de transformations, et il n’est jamais sûr que des personnes habituées à informer « produit » durant des années puissent demain reconsidérer fondamentalement leur rôle.
La période transitionnelle doit être parfaitement maitrisée. Cette mise en place ou ce mouvement vers une organisation « fonction » où le produit n’apparait plus comme prioritaire, si elle est efficace et sans risque dans un environnement non concurrentiel (et beaucoup de situations sont non concurrentielles, comme le domaine des maladies rares), est à considérer avec une certaine prudence dans un environnement concurrentiel important.
Dans certaines situations et sans remettre en cause le principe d’une organisation « fonction » au niveau du siège, le maintien additionnel et temporaire d’un axe « produit » peut être envisagé.
La diversité des réponses organisationnelles observées dans le monde pharmaceutique d’aujourd’hui traduit l’absence de réponse univoque : mais dans tous les cas, de nouveaux métiers sont déjà indispensables à l’adoption des nouveaux traitements.
Beaucoup de sociétés pharmaceutiques d’importance ont un portefeuille de produits mixant plusieurs catégories de produits, du produit hyperciblé à ceux répondant aux besoins d’un plus grand nombre de patients mais dont la prescription reste essentiellement initiée par un spécialiste.
Pour ces derniers produits, l’importance quantitative des interactions avec les professionnels de santé, leur niveau plus limité d’information sur les produits et le plus souvent la charge concurrentielle forte, sont autant de raisons de vouloir conserver un axe prioritaire « produits » orientant le choix de l’organisation.
Cet axe prioritaire ne dénie pas l’importance des compétences listées précédemment mais reconnait pragmatiquement que la valorisation de l’offre produit auprès des acteurs de santé continue de requérir le meilleur des ressources.
La diversité des situations a conduit certaines sociétés pharmaceutiques à segmenter leur business en entités quasi indépendantes : une entité pour les maladies rares, une entité pour des thérapeutiques hautement ciblées (le plus souvent l’oncologie) et une entité pour le reste de leur portefeuille produit.
D’autres ont pris le chemin inverse en réunissant la totalité de leur portefeuille sous une seule bannière et en privilégiant l’axe « fonction ».
L’analyse que nous pouvons faire c’est que le choix d’une organisation doit être fonction du portefeuille et de sa segmentation et des priorités que les produits de ce portefeuille induisent. Il doit prendre en compte l’environnement extérieur mais aussi des considérations économiques internes. Il induit la nécessité d’être compétitif pour attirer les nouveaux talents nécessaires à son fonctionnement.
La cohérence entre priorités-organisation-ressources est probablement le défi le plus difficile : les ressources doivent s’adapter aux priorités et non l’inverse, avec, pour y arriver, une redéfinition précise des rôles et métiers et un programme volontariste de formation.
Nous avons besoin d’une révision urgente de la doctrine de la commission de transparence
Mettons en regard 2 statistiques :
entre 2001 et 2010, 138 médicaments ou nouvelles indications obtenaient une ASMR de 1 à 3 (majeure à modérée) alors que dans le même temps 229 nouveaux médicaments étaient approuvés par les autorités américaines. Entre 2011 et 2021, ces chiffres étaient de 47 pour une ASMR 1 à 3 pour 690 nouveaux médicaments.
Générer des évidences de la vie d’un médicament
Générer des évidences pour répondre aux attentes des personnes ou entités qui jugent, utilisent ou consomment un médicament est une obligation pour le valoriser au mieux. Cette obligation permet d’optimiser son développement auprès des régulateurs, ses conditions d’accès au marché vis-à-vis des payeurs, son adoption par les professionnels de santé et les patients. Parce que cette démarche de génération d’évidence s’adresse à des entités différentes, elle doit impliquer les différentes composantes d’une société pharmaceutique médical, commercial, accès au marché sous la gouvernance de la direction générale.
Mortalité post COVID
Continuerons-nous à observer une surmortalité après l’extinction de la pandémie ?
Aux Etats-Unis et en Europe, nous avons observé en 2020, une surmortalité par rapport aux années précédentes, surmortalité importante de l’ordre de plus de 10% imputée majoritairement à la COVID. Ainsi en 2020 la Covid est la troisième cause de mortalité aux Etats-Unis alors qu’en Europe la surmortalité est grossièrement comparable au nombre de morts attribués à la COVID.
Le paradoxe du financement des technologies de santé
L’investissement dans les technologies de santé (que ce soit pour les médicaments, BioTech ou les technologies médicales, MedTech) est en croissance sans ralentissement depuis plusieurs années et, vu l’afflux de liquidités, de manière singulière en 2020.
L’Europe qui héberge des milliers de ces start-ups en santé a enregistré un record de levées de fonds en 2019 avec plus de 9 milliards d’euros.
La France compte plus de 1700 entreprises dans ce domaine. Elle est le deuxième pays européen après le Royaume-Uni pour leur financement avec une levée de près de 2 milliards d’euros en 2019.
Création d’Euresis Partners
La démarche qui va de la science à l’organisation des soins en passant par développement, évaluation, économie, organisation des soins, obéit à un continuum : tout point de rupture entraine des conséquences importantes sur l’ensemble.
L’interaction entre les acteurs de santé, patients, soignants, pouvoirs publics, industriels et fournisseurs de service, est constante : l’approche et le comportement d’un acteur ont une répercussion immédiate sur les autres.
Cette interdépendance est amplifiée par les nouvelles méthodes et les nouvelles technologies qui permettent d’agréger de nouveaux savoirs, de nouvelles données et de figurer de nouvelles perspectives.
Euresis Partners est né de la conviction que seuls des expériences, des expertises et des angles de vue complémentaires sont capables de répondre de manière pertinente et efficace à la complexité des problématiques de santé d’aujourd’hui et de demain en leur opposant une approche holistique intégrant, au cœur de stratégies et solutions innovantes, leurs différentes dimensions.