Évaluation des médicaments, une appétence au pari et un besoin de  simplification

EuresisPartners, coordonné par Robert Dahan et Philippe Gehin

Le système français de fixation du prix des médicaments repose sur un processus et des règles simples : un avis scientifique donné par une commission (CT) réputée indépendante éclairant la fixation d’un prix pour un comité économique (CEPS) selon les règles d’un accord cadre négociées tous les 3 ans avec les représentants de l’industrie pharmaceutique (IP).

Depuis 2022 la CT a une nouvelle mission : donner son avis au collège de la HAS sur la possibilité, pour une nouvelle molécule ou une nouvelle indication, d’un Accès Précoce (AP) avant ou après Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) et avant finalisation de la négociation de prix entre le CEPS et l’IP.

La lisibilité du système français de fixation des prix pâtit aujourd’hui d’une complexité croissante des processus d’évaluation :

  • Du fait de la quasi-simultanéité des évaluations par la même commission de 2 processus que l’on décrit comme différents, Accès Précoce (AP) et Évaluation Médicale précédant la négociation de prix (EM) aboutissant à la cotation d’un Service Médical Rendu et de son Amélioration (SMR et ASMR)
  • Du fait de l’utilisation de critères d’évaluation communs ou redondants entre ces 2 processus.

Plusieurs voies de simplification du système sont possibles. Voici les principes d’une première voie.

La documentation clinique disponible à l’appui d’une demande d’autorisation d’AP ou pour un dossier d’évaluation médicale avant négociation de prix, est dans les faits essentiellement comparable

Cela est évident en cas de demande d’AP post AMM : les dossiers déposés pour ces 2 évaluations reposent sur la même documentation clinique et on ne voit pas ce qui empêche de concevoir un dossier commun et un avis rendu dans le même temps par la CT pour décision par la HAS (AP) et pour marquer le début des négociations avec le CEPS. On pourrait objecter que ceci n’est pas vrai pour les demandes d’AP pré-AMM. Dans les faits, la quasi-totalité de ces demandes ne sont accordées qu’à la phase quasi finale d’enregistrement européen, phase où le ratio bénéfice/risque est suffisamment défini pour anticiper, avec une quasi-certitude, une approbation : à ce stade la documentation clinique est figée et surtout disponible en termes identiques pour un dossier d’AP ou un dossier EM. Même s’il s’agit d’un dévoiement de l’esprit qui a présidé à la mise en place de l’AP, dans les faits, un avis pourrait être rendu de manière simultanée pour les 2 procédures sur les bases d’une même documentation clinique. Cette simultanéité est, nous le verrons, un gage de cohérence.

Les mêmes critères d’évaluation sont utilisés pour ces 2 processus d’évaluation AP et EM ce qui oblige à la cohérence

Nous retrouvons dans AP et SMR les mêmes notions de place dans la stratégie, gravité de la pathologie, besoin médical, prévalence, impact sur état de santé et organisation, bénéfice présumé ou démontré. De même dans AP et ASMR se retrouvent besoin médical, qualité de la démonstration, quantité d’effet versus plan de développement adapté et résultats présomptifs d’un bénéfice, critères d’autant plus convergents que la décision d’AP est contemporaine ou postérieure à l’AMM.

Critères d’évaluation communs, documentation clinique similaire donnent les fondements de la simplification qui repose sur :

  • La remise en cause au moins partielle de la philosophie qui doit présider à l’évaluation
  • L’unification des process AP et EM lorsque ces 2 process sont enclenchés

A une évaluation reposant sur la qualité du dossier fourni, savoir substituer une évaluation de la promesse offerte par une innovation même incertaine

Aujourd’hui la philosophie qui préside à l’évaluation est fondée sur la qualité méthodologique de la démonstration. A l’inverse, peut se substituer une philosophie d’évaluation fondée sur la « promesse produit » (le pari de l’innovation). La démonstration et à fortiori la présomption d’efficacité et de la quantité d’effet qui lui est associée intègrent alors, quelle que soit l’incertitude apportée, données immatures, données non comparatives disponibles, rationnel pharmacologique, comparaisons indirectes, modélisation, littérature…un ensemble méthodologiquement imparfait, permettant de faire un pari raisonnable.

Ces 2 approches ne sont pas mutuellement exclusives mais l’une ou l’autre doivent guider les conclusions de l’évaluation en fonction du degré d’innovation accordé au médicament évalué.

Comment définir une innovation ? On pourrait pragmatiquement considérer que cette dénomination a le plus souvent déjà été donné durant la procédure d’enregistrement européen. Sinon une innovation peut être définie par la place qu’elle occupe au vu de ses caractéristiques présumées ou démontrées au sein d’un espace dessiné par les priorités de santé publiques définies par un État.

Une innovation présumée ou authentifiée doit être rapidement mise à disposition des patients dans des conditions qui contractualisent les conditions de pérennité de sa prise en charge

Il appartient aujourd’hui au laboratoire de déposer un dossier AP et EM, ou le seul dossier EM.

Le dépôt simultané d’un dossier AP et EM signifie que le laboratoire pense détenir une innovation. Ce caractère d’innovation ou de présomption d’innovation doit être reconnu par la CT guidée par une philosophie d’évaluation « promesse produit ». Cette reconnaissance entraine de fait :

  • Avis positif pour un AP,
  • SMR donnant accès au remboursement et
  • Reconnaissance d’une ASMR majeure ou modérée en fonction de la quantité d’effet présumée ou démontrée.

 Le pari d’innovation doit s’accompagner d’un engagement contractuel post évaluation de la part de l’IP, engagement dont l’importance sera proportionnelle à l’importance du pari. Le but de l’engagement contractuel sera de confirmer le caractère innovant du médicament.

Si ce caractère d’innovation n’est pas reconnu par la CT, alors l’AP est refusé et le dossier évalué comme un dossier EM pour lequel la qualité de la démonstra-tion d’effet est prioritaire. Dans ce cas comme dans le cas du simple dépôt d’un dossier EM, le SMR peut reposer sur gravité, besoin médical et qualité de la démonstration, l’ASMR sur la quantité d’effet. Dans ce cadre, l’ensemble des éléments permettant une mesure de la quantité d’effet ayant été à priori fourni, il n’y a pas besoin d’engagement contractuel post évaluation.

A partir d’une définition pragmatique et opérante de ce que l’on définit comme innovation, il est possible d’adapter son approche d’évaluation pour permettre accès rapide, conditions économiques transparentes entre CEPS et IP, et engagements contractuels. Cette approche d’évaluation dont la pensée première est tournée vers le patient est éminemment médicale et garantit cohérence et lisibilité des évaluations.